Parmi les sujets les plus tabous dans le milieu sportif, la santé mentale doit truster le podium. L’image parfaite du sportif professionnel véritable bête de compétitions, qui enchaîne les interviews et les entraînements avec le sourire est une vision romancée mais bien loin de la réalité.
Malheureusement, la dépression n’épargne personne et encore moins le milieu sportif. Pourtant, quand un sportif ne va pas bien, beaucoup ont du mal à lui donner du crédit ou de l’importance. Les personnes ont tendance à minimiser son état en lui collant l’étiquette facile du « sur-entraînement ».
Fort heureusement, les langues se délient et de grands noms du sport ont rompu l’omerta en annonçant qu’ils avaient été eux-mêmes victimes de burn-out. C’est notamment le cas de celui qu’on ne présente plus : Martin Fourcade mais également du footballeur Adil Rami. Ce ne sont que des exemples parmi une longue liste d’athlètes qui ont côtoyé ce mal.
Si je souhaite en parler aujourd’hui, c’est parce que j’en ai fait l’expérience en 2017, je souhaite alors vous livrer mon expérience et mon témoignage dans cet article.
Le contexte
Agée de 17 ans, je quitte le cocon familial en 2015 pour suivre mes études à Nancy. Parallèlement à mon objectif universitaire s’ajoute, comme un cheveu sur la soupe, une opportunité fortuite : celle de pouvoir m’entraîner dans un pôle national. Car le hasard faisant bien les choses, il s’avère que la seule structure fédérale de marche athlétique se trouve à Nancy.
Pourtant, si l’athlétisme m’accompagnait depuis enfant, mon niveau en marche athlétique ne me permettait pas de prétendre à un accès à ce groupe d’entraînement. Et surtout, je n’avais pas imaginée me consacrer à un sport, pour moi cela n’était même pas envisageable. Je faisais du sport car j’aimais ça mais les performances ne m’importaient peu.
Mais voilà… le destin m’aura menée jusqu’à mon premier entraînement au sein de ce groupe. Quelques personnes dans l’ombre y auront contribué sans même que je ne sois au courant, c’est ce que j’aime appeler le destin. Alors voilà, j’embarque dans cette nouvelle aventure, avec mes kilos en trop et mon cerveau qui ne comprend pas vraiment ce qui m’arrive. Et par la force des choses, je vais suivre un curseur universitaire aménagé pour sportifs et m’entraîner dans une structure de sport performance. Ainsi soit-il.
Vélo rose fushia enfourché et sa chaîne rouillée, me voilà pour pédaler 1h aller/retour entre mon studio d’étudiante et le nouveau lieu de mes entraînements : le CREPS de Nancy, Centre de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportive.
De manière désintéressée et détachée au début, je commence mon premier mois d’entraînement. Mon corps a mal. Ce nouveau rythme est épuisant et déstabilisant pour celle qui ne s’entraînait que 4 fois par semaine au club d’athlétisme de sa ville d’enfance. Mais finalement le corps humain est formidable et a une capacité d’adaptation étonnante… Les mois suivants, je suis rodée et surtout je me prends au jeu ! Je me rends compte que j’adore ça : m’entraîner et œuvrer dans un but de performance. C’est assez nouveau pour moi, je découvre un nouveau rapport à l’entrainement et à la compétition mais je me laisse porter…
Les mois passent et je décroche ma première sélection en équipe de France et mon premier titre de Championne de France. La progression est rapide, les entraînements se poursuivent et je continue de découvrir ce nouveau monde fait de performance et de sueur.
Et finalement une année s’écoule. La saison suivante, je change de catégorie, passant de junior à espoir. Ma distance de compétition évolue elle aussi, me voilà alors sur 20km marche. Une distance qui me fait peur et que je sacralise. Septembre, octobre, novembre, décembre, janvier… les mois s’écoulent et s’enchaînent au rythme des kilomètres parcourus. Nous voilà en mars 2017 soit 1 an et demi après le début de mon aventure. 18 mois qui sont passés vite – je ne me suis jamais arrêtée, je n’ai jamais regardé en arrière, les yeux toujours tournées vers l’objectif suivant…
Mars 2017, c’est mon tout premier 20km, vous savez, la distance que j’ai tant sacralisée. En fin de compte, pour cette première, je réalise un très bon chrono, à tel point que je décroche la 3ème place chez les seniors et me qualifie au Championnat d’Europe par équipe.
Le début de la descente
Mais que m’arrive-t-il alors ? Les jours passent et je ne parviens pas à récupérer de ce 20km. Bizarre mais après tout, peut-être que mon corps est plus long que les autres à se régénérer ? Plusieurs semaines s’écoulent et je ne retrouve toujours pas mon niveau. J’ai une sensation d’épuisement dans mon corps comme si il n’était plus capable de faire ce qu’il faisait avant la compétition.
Je rentre peut à peu dans un cercle vicieux. Je ne retrouve plus mon corps, ni les sensations qui m’ont accompagné pourtant pendant 1 an et demi. Je suis sans cesse à la traîne, chaque kilomètre est éprouvant, un rien m’épuise et me demande un effort considérable.
Dans ma vie de tous les jours, j’entre dans une fatigue chronique pénible à supporter et je commence à ressentir un vide énorme en moi. Je me sens seule, incomprise et perdue. L’appétit commence à disparaître et mon poids chute. Le déni étant très fort, je continue comme si tout allait bien, je n’admets qu’à demi-mots et en minimisant que quelque chose ne tourne pas rond.
Petit à petit, je ne suis plus capable de pratiquer ma discipline : la marche athlétique. La gestuelle devient trop dure pour moi à réaliser et je ne ressens plus rien. Je passe alors en course à pied, une foulée plus naturelle et plus facile, logiquement, je devrais pouvoir aller beaucoup plus vite. Mais en fin de compte, je me retrouve là encore dans un inconfort et une lenteur symptomatique. Les pauses prolongées parfois d’une semaine qui, selon mon entourage, devraient me permettre d’aller mieux, ne font aucun effet à mon corps, la situation reste inchangée.
Pire que la fatigue et l’épuisement, viennent l’anxiété et l’aversion envers ce qui pourtant m’animait chaque jour : mon sport. Je commence à devenir repoussée par l’entraînement. Je n’en peux plus, je n’accepte plus. Comme fatiguée de cette situation où je sais que chaque entraînement conduira à un échec, je repousse ce moment au plus tard dans ma journée, parfois après le dîner. Un moment où je vais devoir encore me faire violence et tenter de sauver les pots cassés. Je me lève alors chaque matin avec la même pensée lancinante : « aujourd’hui, je dois m’entraîner ». Cela me rend anxieuse, j’y pense tout le temps.
Examen après examen, le milieu médical me dit que j’ai une forme olympique, que absolument rien n’explique mon état. J’en viens même à suivre, avec un kiné, un protocole supposé me redonner de l’énergie en travaillant sur l’ortho et le parasympathique (systèmes nerveux contribuant aux états d’énergie du corps). Là encore, aucune amélioration. Mais alors que se passe t-il dans mon corps si tout va bien ?
Le coup de grâce a sans doute été le d’un Championnat d’Europe par équipe où, malgré ma détresse, j’ai pris le départ. La veille, je suis prise de douleurs psychosomatiques. Mon corps me parle comme pour me prévenir qu’il ne veut pas être ici, qu’il est juste épuisé. Le matin de la course, rebelote, mon corps se fige et m’envoie de nouveaux signaux d’alerte, j’ai littéralement des crampes au ventre. Me voilà pliée en deux, je ne peux plus poursuivre mon échauffement, les douleurs sont paralysantes.
Finalement, la course s’élance. Je suis dans les dernières, je suis plus lente que lors d’un footing de récupération après une grosse séance d’entraînement. Après seulement 6km, impuissante et prisonnière de cet état, je m’arrête, j’abandonne, je quitte la course.
Bientôt 3 mois, 3 mois que je suis dans un état léthargique, comme inerte dans un corps pourtant vivant. Le médecin en arrive à me suggérer l’idée que je consulte un psychologue. Cette pensée vient heurter des dogmes présents chez moi à l’époque, je prends cela comme un mépris et une incompréhension de sa part. Ah, sacré déni ! Et puis, il aura fallut que cette suggestion vienne de la bouche de mon coach pour que j’accepte enfin.
Le diagnostic clinique : la délivrance
Première rencontre avec ma psychologue. J’entre dans son bureau et je découvre une personne extérieure à mon vécu qui ne me connaît pas, qui ne sait pas qui je suis et étrangement cela me fait du bien. Je me sens rassurée et je me mets tout de suite à parler. C’est finalement assez instinctif et sans trop me poser de questions, je me rends compte que j’avais besoin de parler. Car parler, je ne l’ai pas fait depuis 3 mois.
C’est la première fois que je vois une personne prendre en compte mon état, sans vouloir me faire passer des examens médicaux, une personne qui cherche simplement à comprendre pourquoi je me sens comme ça. C’est parfois quelques mots qui font toute la différence. Quelques mots qui viennent comme un mouchoir essuyer vos larmes et prendre par la main votre enfant intérieur qui souffre. Quelques mots libérateurs.
Car mettre des mots sur ce que j’avais, ce n’était en définitive pas si compliqué… Je ne souffrais pas de maux physiques mais simplement de maux mentaux, dans la catégorie des maladies mentales mineures, j’ai nommé le burn-out. Tiens, qu’est-ce que c’est ? Tout ce que je retiens, c’est que je ne suis pas folle et sur le moment ça me procure un soulagement intense.
Le diagnostic est clair, le traitement l’est tout autant : du repos, minimum 2 mois sans la moindre activité physique et un suivi psychologique.
La phase de reconstruction
1 an. C’est le temps qu’il m’aura fallu pour en parler librement, sans pleurer et sans replonger dans des émotions vives. 1 an à se construire et surtout comprendre ce qu’il s’est passé. Remonter la pente doucement mais sûrement. Se reconstruire après une chute.
C’est sensiblement la même chose qu’une plaie ouverte, le temps de cicatrisation peut être long et pour moi, il l’a été. Car le diagnostic est une chose mais le processus de guérison en est une autre. Fort heureusement, ma prise en charge fut suffisamment précoce pour ne pas me faire entrer dans une phase plus grave comme celle que malheureusement beaucoup de personnes connaissent. Certains doivent se faire interner pour cause d’idées suicidaires ou de pertes de capacités psychomotrices suite à un burn-out.
Le temps est à la compréhension. Analyser l’origine du problème, identifier tous les comportements qui ont été déviants et les schémas autodestructeurs pour éviter que cela se reproduise. Il faut alors tout déconstruire, déconstruire des années de croyances que l’on prenaient pourtant comme vérité et acquis. Des croyances qui auront mené à une dépression.
Il faut aussi se pardonner et s’enlever la part de culpabilité que l’on peut ressentir. Accepter que l’on a été malade, pas physiquement mais mentalement. Personne n’est pas préparé à ça, encore moins en baignant dans un univers sportif. Je pense que j’ai mis plusieurs mois à réaliser ce que j’avais vécu réellement et à l’intégrer.
J’ai terminé ma thérapie en écrivant une lettre ouverte à mon corps. Je crois que cela m’a fait beaucoup de bien et cela a fait pleinement partie de mon processus de guérison. Aujourd’hui, je continue de voir ma psychologue mais nous abordons d’autres aspects, plus en lien avec mon quotidien. Nous faisons des points sur l’entraînement et les compétitions à venir.
La transformation
A l’heure où j’écris ces lignes, 4 ans se sont écoulées et du chemin a été parcouru. Le travail d’épanouissement et de développement personnel, ne s’arrête jamais, il nous accompagne toute notre vie. Ces dernières années, j’ai pu découvrir quantité de livres et de courants de pensées qui ont suscité un véritable éveil spirituel chez moi, comme un déclic évident. Je me sens beaucoup plus en phase avec ce qui m’entoure, en alignement avec moi-même et mon environnement. J’ai compris et appris à écouter en profondeur mon corps et lui donner toute son importance, je lui laisse les commandes de ma vie.
« J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre. »
Nelson Mandela
Bravo pour ton témoignage Clémence. C’est rare, et important de l’écrire, pour toi et pour aider tous les sportifs à mieux comprendre ce qui les touche ou peut un jour les toucher.
Un bravo général aussi pour ton site et ton blog. Je serai un lecteur attentif car également passionné par les sujets que tu traites avec pertinence et bienveillance.
Cela a été un plaisir de t’avoir eu comme étudiante au DU Sport à l’IUT dans ta première année à Nancy!
Merci pour tes mots et à bientôt donc !